EPU : «Les audioprothésistes doivent se former régulièrement»

interview


C’est un rendez-vous incontournable de la profession. Les 2 et 3 décembre se déroule le 22e Enseignement post-universitaire (EPU) d’audioprothèse sur la thématique « Le futur de l’audioprothèse : quels patients, quels actes avec quelles technologies ? », organisé par le Collège national d’audioprothèse (CNA). Son président Stéphane Laurent, à la baguette pour la 3e et dernière année, revient sur le programme intense de cette édition, tout en insistant sur l’importance de la formation continue pour les audioprothésistes.

EPU : «Les audioprothésistes doivent se former régulièrement»

Audio infos : Cette année encore, l’EPU est fortement teinté de science (voir le programme), en témoignent les nombreuses présentations réalisées par des chercheurs. Est-ce votre marque de fabrique ?

Stéphane Laurent : L’avenir nous dira s’il s’agit une marque de fabrique, mais ça n’est en rien volontaire. L’an dernier, il y avait peu d’intervenants ayant la double casquette chercheur-audioprothésiste pour la thématique choisie [pratique fondée sur les preuves en audioprothèse, NDLR], et c’est pour cette raison qu’il y avait pas mal de présentations de chercheurs. Cette année, le sujet est plus transversal, sur l’avenir du secteur. Notre cahier des charges est simplement de choisir les personnes les plus qualifiées sur tel ou tel thème. Quand le sujet est centré sur l’audioprothèse, nous sollicitons nos camarades du Collège, mais sur des sujets tels que le dépistage néonatal, voire des thématiques plus techniques sur l’audiologie, l’exploration fonctionnelle, nous nous en remettons à des personnes dont c’est la spécialité.

A.i. : Une autre thématique se dégage de ce programme : la relation entre l’audioprothésiste et son patient. Est-ce une facette négligée du métier ?

S.L. : Franchement, oui. Nous sommes très technocentrés. Il ne s’agit pas d’un reproche ; s’intéresser à la technologie est grisant. Cela fait rêver, aussi bien les jeunes générations d’audioprothésistes que les patients, qui y voient des espoirs pour l’amélioration de leur audition. Cependant, je pense qu’il ne faut pas perdre de vue la relation soignant-soigné, ainsi que l’influence que peut avoir l’audioprothésiste au cours de la réhabilitation, grâce à ses conseils, à la relation de confiance qu’il établit avec son patient… C’est pour moi une véritable conviction : l’audioprothèse est un métier de soin et la technologie n’est pas auto-suffisante. Au contraire, le fait de délivrer de la haute technologie demande encore plus d’accompagnement humain. Nos patients ne sont pas tous des geeks ! Ils ont besoin de nos conseils, d’avoir confiance en nous. Cette relation audioprothésiste-patient n’est en rien une posture pour protéger le métier ; il s’agit d’une réflexion de fond, et une lecture que les jeunes générations doivent avoir. C’est cette tonalité que le CNA s’efforce d’inculquer. La compréhension de la technologie est certes indispensable, mais appliquée à des humains par des humains. D’ailleurs, cette réflexion n’est pas l’apanage de l’audioprothèse.

A.i. : Autre axe de ce programme : le futur de l’audiologie. Est-ce que le monde de l’audioprothèse est en attente d’une innovation de rupture ?

S.L. : L’attente vient d’abord des patients, à mon avis. On appareille de plus en plus de gens, mais il en reste beaucoup à appareiller. Nous n’avons pas vaincu la surdité ! Une grande majorité de malentendants, malgré les progrès technologiques immenses, éprouvent des difficultés, notamment dans le bruit ou en situation de cocktail-party. Les améliorations technologiques sont nécessaires, mais il faut aussi comprendre ce qu’il se passe dans l’oreille et le cerveau. Il reste encore beaucoup à découvrir. De façon pragmatique, nous incitons les audioprothésistes à mieux accompagner les patients dans les limites technologiques. Car au détour de cette attente de «rupture», il peut y avoir des espoirs déçus. Les audioprothésistes ont réellement un rôle d’accompagnement et de traduction de ce que la technologie permet et surtout de ce qu’elle ne permet pas.

La formation continue est une posture que l’audioprothésiste doit adopter.

A.i. : Quels seront les temps forts de cette édition ?

S.L. : C’est difficile de parler de temps fort. Nous avons regroupé les conférences autour de thématiques, en fonction des patients et des pathologies : pédiatrique, acouphènes, presbyacousie… En fait, il n’y aura que des temps forts (rires) ! Cette édition sera composée de deux journées bien remplies, reprenant des thèmes qui ont fait l’objet d’EPU entiers. Nous allons explorer à nouveau ces thématiques, en forme de bilan d’étape. Il y aura donc autant de temps forts que de thèmes.

A.i. : Quelle importance revêt la formation continue à vos yeux ?

S.L. : La formation continue doit être développée. L’EPU constitue l’événement annuel, mais les audioprothésistes doivent se former plus régulièrement. Nous avons probablement des progrès à réaliser dans ce domaine. La formation continue, c’est avant tout une posture, un état d’esprit que l’audioprothésiste doit avoir. Rester en position d’attente, se reposer sur ce qui est obligatoire, cela ne fonctionne pas. La formation continue est une attitude qu’un maximum de nos confrères doit adopter : se demander « comment puis-je mieux faire ? ». Cela nécessite une certaine ouverture d’esprit. Il faut qu’il y ait un échange permanent entre les audioprothésistes, pour partager sur les pratiques et être en recherche d’amélioration.

A.i. : À part l’EPU, que propose le CNA en termes de formation continue ?

S.L. : Le CNA est sur le point de mettre en place une plate-forme d’e-learning, sous la forme de modules, afin de permettre à un maximum d’audioprothésistes de suivre des petites formations très précises, qui seront probablement interactives. Ainsi chacun pourra soumettre au Collège des sujets pouvant faire l’objet de module de formation. Il s’agira d’un mélange de vidéos, d’animations, de quiz pour évaluer les connaissances, de façon enrichie et au service de la pédagogie propre à un sujet donné. Les audioprothésistes pourront suivre ce parcours quand ils le souhaitent. C’est un projet semiexpérimental : c’est la première fois que nous testons ce procédé à l’échelle nationale. Nous avons déjà trouvé le prestataire et commençons à travailler sur ce projet. Nous espérons que l’outil sera disponible courant 2018. Les Cahiers de l’audition constituent aussi une source de formation pour les audioprothésistes qui se donnent la peine de lire la revue. Enfin, quelques membres du Collège interviennent lors du congrès de l’Unsaf et des Assises d’audioprothèse et d’ORL. La plupart d’entre nous sont par ailleurs bien investis dans la formation initiale, dans les écoles. Malheureusement, nous ne pouvons pas nous démultiplier et élargir davantage la formation en nous rendant sur différents sites. Le numérique fournit ainsi une réponse intéressante, d’où le développement de cette plate-forme d’e-learning. A contrario, nous continuons à proposer des formations de maître de stage, sur site. Nous formons les audioprothésistes à accueillir des stagiaires et encadrer des mémoires. Et dans ce cas, la formation en présentiel est importante.

A.i. : C’est votre dernier EPU en tant que président du CNA. Quel bilan dressez-vous de ces trois éditions ?

S.L. : J’ai essayé d’apporter une ouverture, sur le sujet de l’an dernier et sur celui de cette année. Essayé d’ouvrir l’esprit des audioprothésistes. C’est une modeste tentative consistant à dire : ne restez pas dans vos laboratoires, seuls. Lisez, restez curieux. Il n’y a pas d’alternative : si vous ne voulez pas subir les changements qui s’opèrent inévitablement dans toute société, vous devez vous-même être acteur de votre avenir. Il ne faut pas se satisfaire d’une certaine facilité. Par ailleurs, je vais continuer à m’investir, notamment dans la création de cette plate-forme d’e-learning. Enfin, m’occuper de la formation continue m’a enseigné une chose importante. Contrairement à la formation initiale où les étudiants sont captifs, puisque les cours sont obligatoires, dans un cadre universitaire, les personnes qui suivent la formation continue sont clients, et ils ont tous une grande diversité d’approche. Ce n’est pas une figure de style de dire qu’il y a autant de pratiques que d’audioprothésistes. Cela transparaît dans la manière d’aborder la formation continue avec eux.

Propos recueillis par Bruno Scala