EPU 2016 : L’audioprothèse clinique à l’heure de la preuve par la science

interview

La Cité des Sciences et de l’Industrie de La Villette à Paris accueille les 2 et 3 décembre l’enseignement post-universitaire en audioprothèse (EPU) organisé par le Collège national d’audioprothèse (CNA). Cette 21e édition marque le vingtième anniversaire de l’événement (deux EPU se sont déroulés une même année). Stéphane Laurent, élu le 1er juin 2015 à la tête du CNA, a souhaité placer le rendez-vous annuel de la formation continue de la profession sous la thématique : « Pratique fondée sur les preuves en audioprothèse : l’approche scientifique peut-elle favoriser l’esprit critique et améliorer nos pratiques au quotidien ? » Retour avec lui sur les temps forts qui émailleront l’événement.

EPU 2016 : L’audioprothèse clinique à l’heure de la preuve par la science

Audio infos : C’est une année symbolique pour le Collège national d’audioprothèse ?

Stéphane Laurent : Nous sommes fiers de fêter avec ce 21e EPU, les vingt ans de l’événement. Cela fait en effet vingt ans déjà que Xavier Renard a initié ce rendez-vous, afin d’aider la profession à organiser sa formation continue. C’était en 1996 et à l’époque il se tenait à l’hôpital Bichat, à Paris. La première édition avait regroupé une bonne centaine de participants. Vingt ans après, on peut constater que cette initiative a su fédérer les audioprothésistes de génération en génération. Peu à peu, l’EPU est devenu le rendez-vous de ceux qui veulent continuer de se former, souhaitent ouvrir leur esprit à d’autres façons d’appréhender leur métier et se tenir informés de la façon dont le Collège amorce l’avenir aussi. C’est aujourd’hui un moment clé dans la vie audioprothétique française et qui regroupe chaque fois plus de 900 professionnels de l’audition. Avec ses deux jours de conférences et débats, délivrés par des professionnels de renom, l’EPU est le principal relais pour l’évaluation et l’amélioration des pratiques professionnelles.

A.i. : Comment ce rendez-vous a-t-il évolué dans le temps ?

S.L. : Il est intéressant pour introduire la thématique de cette année de regarder ce qui a été fait par le passé. Les éditions précédentes ont essentiellement présenté des thématiques portant sur des moments clés de l’appareillage : le bilan d’orientation prothétique, le choix prothétique, le contrôle d’efficacité prothétique, etc. Il y a eu plusieurs EPU — le temps passant, les techniques ayant changé — portant sur la pratique : ce que l’on fait, et ce, à différents moments de l’appareillage.
Le premier EPU coïncide d’ailleurs avec la date d’apparition du premier appareil numérique. Aussi, il y a toujours eu dans l’esprit de mes prédécesseurs la volonté de décrire l’acte de l’audioprothésiste. Le premier EPU par exemple, traitant du bilan d’orientation prothétique, portait moins sur la technologie que sur les éléments audiologiques et médicaux, dans le contexte du patient, qui amènent à faire tel ou tel choix prothétique. Il y a eu des EPU pour décrire cela et un certain nombre d’EPU se sont également attardés sur des catégories de patients et des pathologies en particulier. Je pense à l’appareillage pédiatrique, thématique qui a fait l’objet de trois EPU. D’autres éditions se sont concentrées sur le 4e âge, d’autres encore, sur les patients acouphéniques ou hyperacousiques.
En prenant un peu de recul, nous nous sommes dit que cela faisait vingt ans que nous décrivions comment doit travailler l’audioprothésiste en fonction des différentes typologies de patients.
Mais la question qui habite finalement beaucoup de monde consiste à se demander comment in fine il est préférable de procéder. Est-ce que cette technique d’appareillage est éventuellement meilleure qu’une autre, est-ce qu’il vaut mieux appareiller en open ou en fermé, etc. ?
Cette interrogation, nous la retrouvons d’une manière ou d’une autre dans tous les métiers de la santé et pour y répondre, le praticien, dans la plupart des cas, s’est forgé sa propre opinion. Or, et cela concerne tout le champ médical, ne peut-on pas dépasser le stade de l’opinion personnelle ? Ne peut-on pas avoir une démarche plus scientifique qui impose des règles, un peu plus de rigueur, qui nécessite d’observer les données et de faire parler ces dernières ? Cette démarche peut aboutir à une orientation de l’acte un peu moins brouillée par le jugement personnel, par les émotions finalement.

A.i. : Il faut donc donner une dimension plus scientifique à la pratique audioprothétique ?

S.L. : J’aimerais véritablement amener progressivement le métier d’audioprothésiste vers une pratique basée sur les preuves. C’est ce qui conduit à la thématique retenue cette année : comment peut-on avoir une approche scientifique en audioprothèse ? Comment peut-on faire des choix qui ne sont plus uniquement basés sur sa propre opinion, expérience, sur d’éventuelles modes, mais sur une approche scientifique ? C’est une démarche qui s’observe couramment dans d’autres disciplines médicales et qui trouverait son sens en audioprothèse, afin d’aller au-delà de l’expérience clinique — une expérience basée sur l’écoute indispensable du patient et sur le ressenti de son vécu, mais qui nécessite encore l’apport des chercheurs. Je n’ai pas suivi de formation purement médicale, mais cette démarche, j’ai pu l’observer en côtoyant depuis une dizaine d’années le Pr Benoît Godey, chef de service et chirurgien, qui a cette culture médicale, cette manière d’aborder le thérapeutique individuel par des sources scientifiques.
Aujourd’hui, je pense que les audioprothésistes doivent s’enrichir d’un autre regard, plus médical, hors du jugement émotionnel. Cette nouvelle approche doit se traduire par l’acquisition par l’audioprothésiste de capacités à lire les études cliniques, à les appliquer à la réalité du patient, à comprendre les résultats de ces études, à être capable de les critiquer et enfin, à mettre en place ses propres analyses. C’est d’ailleurs quelque chose que l’on observe de plus en plus dans les mémoires des étudiants à travers la France ces dernières années. Ils réalisent des travaux souvent très éclairants et qui participent au détachement nécessaire de nos propres émotions pour reconsidérer nos pratiques sur les bases d’une approche scientifique. Une approche du métier qu’il me semble important de transmettre aux audioprothésistes déjà en exercice.

A.i. : La formation continue prend alors encore plus de sens ?

S.L. : En effet, car l’enjeu pédagogique est important. Ceux qui ont quitté les bancs de l’école et de l’université il y a dix ans ou plus n’ont pas eu forcément cette formation, cette imprégnation, cette culture. Pour autant, je pense qu’il y a aujourd’hui une nécessité d’aller vers cela. Ceux qui sont sortis d’école plus récemment ou qui ont fait des Masters sont beaucoup plus dans cette logique-là, dans cette façon de penser qui est de se dire : pour un patient donné je vais procéder de telle façon, mais je vais tout de même me renseigner s’il existe des études qui ont été construites avec rigueur, afin de colorer ma décision. Quoi qu’il en soit, il ne s’agit en aucun cas de faire table rase du passé, d’oublier son sens clinique ! Il s’agit plutôt de se demander s’il n’y a pas une façon de réfléchir différemment, qui vienne à l’appui de son expérience. Aussi, il faut souligner que la recherche en correction auditive est beaucoup plus internationale que française. C’est peut-être aussi pour cela que l’on n’en parle pas suffisamment et que les audioprothésistes de terrain s’en sentent un peu éloignés. Comme je le soulignais, la recherche est en revanche pratiquée par tous les étudiants de troisième année, avec très souvent des résultats qui peuvent nous apporter des choses concrètes dans nos pratiques. Aussi, je crois qu’il serait positif que les professionnels en exercice s’imprègnent de ces travaux, accueillent plus facilement des stagiaires aussi.

A.i. : Comment s’articule l’événement cette année ?

S.L. : Les deux journées de cet EPU seront à la fois différentes et complémentaires. Le vendredi sera dédié aux bases théoriques. C’est un peu la boîte à outils ! Des outils qui ne sont pas le quotidien des audioprothésistes et portent sur la recherche et l’analyse des résultats d’études, entre autres. Nous aborderons des concepts nouveaux, mais ils le seront avec simplicité et rattachés en permanence à des exemples concrets du quotidien des audioprothésistes pour éviter l’écueil d’une trop grande abstraction. J’ai demandé aux intervenants d’être pédagogues ! Eux ont cette double formation : ce sont des gens de l’audiologie, qui ont suivi un cursus universitaire et scientifique leur permettant de dispenser cet enseignement-là. Toutes les interventions seront passionnantes. Je mettrais peut-être un peu en avant l’intervention de Christophe Micheyl sur les statistiques, car notre domaine génère beaucoup de données. Ces « Big Data », il nous faut leur donner du sens, pour en tirer des enseignements. Ce sera, je pense, le point culminant du vendredi, même si aucune autre intervention n’est en retrait. Cette première journée a été élaborée avec l’aide précieuse de Stéphane Gallego et de Christophe Micheyl qui m’ont énormément aidé à donner ce cap scientifique au programme de cet EPU.
La journée du samedi sera consacrée au partage d’expérience des personnes ayant utilisé, mis en pratique, cette approche scientifique et qui ont publié des articles dans un domaine donné. Je pense notamment à Laurence Hartmann dans le domaine médico-économique, nous la connaissons désormais bien, grâce à l’Unsaf et à son président. Je pense également à Christian Lorenzi, éminent chercheur bien connu dans l’audiologie française. Il va notamment nous présenter ce qui a été publié dans son domaine d’expertise, et de manière assez originale ce qu’il reste à découvrir dans le domaine de l’intelligibilité de la parole dans le bruit. Aussi, pour parler plus largement, quand on sort de sa propre intuition et que l’on mène des études scientifiques, on arrive à une recommandation. Cela va être le propos d’Arnaud Coez — à qui j’ai confié l’organisation de la journée du samedi — et de Matthieu Del Rio, qui présenteront ce qui a déjà été exploré dans notre domaine, ce qui fait consensus scientifiquement et a abouti à des recommandations. Ce sera le fil conducteur du samedi matin, quand l’après-midi nous permettra de terminer par des interventions d’audioprothésistes du Collège, en binômes. Matthieu Del Rio supervisera ce moment qui aura pour principal objectif de montrer que l’audioprothèse reste aussi et surtout un métier de clinicien, que les statistiques ne remplaceront jamais la prise de décision d’un individu pour un individu à partir de l’observation complète d’un tableau clinique, d’un contexte de vie, d’une approche psychologique, etc. Ce que nous avons finalement beaucoup montré lors de précédents EPU. Cette demi-journée sera ainsi consacrée aux cas cliniques, à des réflexions personnelles, à des thématiques auxquelles nous sommes peut-être un petit peu plus habitués, mais qui permettront aussi de donner la parole aux audioprothésistes de terrain.

A.i. : Vous aviez l’an passé initié de l’interactivité, en sera-t-il de même cette fois ?

S.L. : Nous allons en effet réitérer l’opération initiée l’an dernier afin de rendre l’EPU plus vivant, plus interactif, par le biais d’une application à télécharger sur smartphone. Elle permettra de poser des questions en direct, mais également de répondre à un grand quizz qui se déroulera le vendredi en fin d’après-midi, et qui sera placé sous la houlette de Stéphane Garnier. Comme cette première journée pourrait être un peu plus ardue, il nous semblait important qu’il y ait une évaluation en clôture. Les gens ne seront pas notés, mais cela leur permettra de se situer par rapport à ce qui a été abordé et développé.

A.i. : Il est également programmé un moment d’échange avec l’Unsaf ?

S.L. : En effet. Même si le Collège n’est pas un syndicat, il a pour vocation d’assurer la représentation et la défense des intérêts déontologiques et moraux de la profession d’audioprothésiste. Il est, je le rappelle, dans nos prérogatives de publier des textes, des articles, des documents, des études et de participer à toute action au service des malentendants. Et dans cette dynamique de défense des intérêts des patients, il est important que les audioprothésistes soient tenus au courant des actions qui sont menées en ce sens aujourd’hui. Au regard de l’immense travail que l’Unsaf mène auprès des Pouvoirs publics depuis de nombreuses années, il nous semble logique qu’il y ait un moment de partage autour des thèmes d’actualité avec le syndicat. Beaucoup de sujets préoccupent les audioprothésistes et ce sera un moment qui permettra de leur donner de l’information. L’avis que s’apprête à rendre l’Autorité de la concurrence sur notre secteur en est un, mais il y en a bien d’autres.
Cette réunion d’information avec le syndicat marquera vraisemblablement un temps fort de cet EPU. Nous travaillons sur bon nombre de dossiers de concert avec l’Unsaf et notamment sur la revalorisation de la prise ne charge des aides auditives par l’État, comme sur bon nombre de dossiers publics qui concernent directement ou indirectement l’évolution de la profession.

A.i. : Comment définiriez-vous l’objectif à long terme de ce rendez-vous ?

S.L. : Pour donner une ligne de fuite à l’objectif général de l’EPU, il faut partir des patients : quel est aujourd’hui l’objectif national ? Il faut qu’un maximum de gens soient appareillés et qu’un maximum de gens portent leurs appareils et ce, le plus souvent et le plus longtemps possible (la fameuse observance). Enfin, il faut qu’un maximum de personnes bénéficient d’un appareillage optimisé. Pour arriver à ces trois objectifs, indissociables et difficiles à atteindre — notamment en ce qui concerne l’observance, l’optimisation des réglages, c’est-à-dire la meilleure correction auditive possible — il faut de la formation.
C’est là tout le rôle de l’EPU, qui va permettre en aval de la formation initiale, d’appréhender de nouveaux concepts, de mesurer les résultats de recherches, de cas cliniques aussi, de confronter les techniques d’appareillage, de comparer différents appareils, etc. Aujourd’hui plus que jamais, la surdité et son incidence sur le vieillissement cognitif, sur l’entrée en dépendance, sur les chutes, représentent un sujet majeur de santé publique ! Et pour répondre à cet enjeu, il nous est indispensable de rester compétents, d’être même toujours plus compétents.
Aussi, quand nous demandons une réingénierie de la profession, que nos audioprothésistes soient mieux formés, sur cinq ans, ce n’est que pour servir cette finalité sanitaire.

A.i. : En parallèle de l’EPU, quels chantiers occupent le Collège ?

S.L. : Nous avons un certain nombre de dossiers satellites qui sont désormais gérés par des membres du Collège. Je pense notamment au travail réalisé autour de la formation des maîtres de stages, et qui est mené par Frédéric Rembaud depuis un an environ. Nous avons également toujours une importante activité autour des Cahiers de l’Audition, pour lesquels Arnaud Coez s’implique énormément.
Aussi, je pense que le dossier qui va beaucoup nous occuper dans les années à venir concerne le e-learning. C’est un travail que j’ai confié à Jean-Baptiste Delande. Nous souhaitons mettre à la disposition des audioprothésistes des modules d’enseignements en ligne, qui mélangent articles de fond, vidéos, diaporamas, etc. Je pense qu’il y a beaucoup de choses à faire autour de cela. Dans cette nécessité de formation continue, pour ceux qui sont dans leurs centres, qu’ils soient salariés ou indépendants, et qui n’ont pas toujours le temps de se rendre à l’EPU ou encore au Congrès des audioprothésistes, je pense que la dématérialisation du numérique est une véritable aubaine. C’est quelque chose qui nous tient à cœur et qui va se déployer progressivement. En tout cas, les choses sont lancées ! »
 

"Bio express" de Stéphane Laurent :
Audioprothésiste diplômé d’État depuis 1996, Stéphane Laurent a été nommé président du Collège national d’audioprothèse (CNA) en juin 2015. Originaire de Nantes, il est diplômé du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Son cursus en acoustique lui a permis de croiser la route de l’audioprothèse. À 45 ans, c’est un métier qu’il exerce encore aujourd’hui avec beaucoup de passion. Aussi, après sa rencontre avec Frank Lefèvre en 1997, Stéphane Laurent devient enseignant à l’École d’audioprothèse de Fougères. Un parcours complet qui lui permet d’être élu membre du Collège en 2004. En parallèle, depuis huit ans, Stéphane Laurent effectue le réglage des implants cochléaires au CHU de Rennes, sous l’égide du Pr Benoît Godey.

Guillaume Bureau