De l'analyse des situations de communication aux stratégies de compensation


Dans ce quatrième volet de la série d’articles sur les réalités de la malentendance, Jérôme Goust expose les stratégies de compensation mises en place par les malentendants pour s’adapter aux différentes situations de communication qu’ils rencontrent.

Publié le 07 janvier 2016

De l’analyse des situations de communication aux stratégies de compensation

 

La personne malentendante a besoin de comprendre son environnement sonore : identifier les bruits, interpréter les paroles. Il ne s’agit pas tant d’entendre que de comprendre.

Les portables et la communication instantanée ont remplacé le courrier et la communication écrite. L’exigence de communication immédiate renforce le risque d’exclusion sociale de la malentendance.

Pouvoir assurer ces enjeux quotidiens est devenu un besoin prioritaire. C’est pour cela qu’il faut trouver toutes les stratégies de compensation disponibles. Elles doivent répondre à plusieurs besoins et à de nombreuses situations. Avant d’envisager les solutions techniques, il est important de prendre en compte les différentes situations de communication. Cela permet de se placer – soi-même et ses interlocuteurs – dans les meilleures conditions possibles. C’est ainsi que l’on pourra tirer le profit optimal des matériels et des techniques.

Lorsque l’on envisage les solutions techniques, il faut tenir compte des conditions nécessaires pour qu’elles soient le plus efficace possible, en termes d’aménagement et d’accompagnements psychologique, social, orthophonique.

Mais pour bien répondre aux besoins de la personne, il faut bien connaître les spécificités de sa vie quotidienne. L’audiométrie tonale informe sur les capacités de perception brutes, permettant de définir les niveaux d’amplification à apporter. L’audiométrie vocale apporte des informations sur la manière dont le cerveau exploite ces données sonores, avec une dimension psychologique importante (voir l’article sur le cheminement psychologique de la malentendance).

Ces données doivent être complétées par un examen attentif des situations de communication de la vie quotidienne (vie privée, vie sociale, vie professionnelle) : dans leurs caractéristiques sonores, acoustiques et auditives, mais aussi dans la manière dont elles sont vécues par la personne.

De la diversité des situations de communication

Chaque situation met en jeu des fréquences, des puissances, des environnements sonores, des contextes sociaux et relationnels différents. Cela met en action des zones différentes de notre cochlée, de nos voies nerveuses auditives et de notre cortex auditif. Et de tous ces facteurs, se dégagent un niveau de mobilisation auditive de la personne et des performances en termes de suppléance mentale pour compléter les résultats en matière d’intelligibilité.

On peut distinguer plusieurs types de situations de communication :

    • Perception pure : sonneries (porte, téléphone, alarmes diverses), bruits normaux d’une machine à surveiller, bruits d’alarme dans un lieu clos ou sur la voie publique, etc. Il s’agit d’identifier et de localiser des bruits simples en les distinguant des autres bruits de l’environnement. Mon implant cochléaire m’a permis de percevoir à nouveau la sonnerie de la porte. Mais il m’a fallu du temps pour que je l’identifie systématiquement : pendant des semaines je le considérais comme un « bruit ».
    • Écoute passive : télévision, radio, Hi-Fi, cinéma, spectacle, conférence. Nous recevons le message sans devoir y répondre. Notre cerveau doit juste décrypter le message, enregistrer ce qu’il pense devoir mémoriser. Cela peut déclencher des questions à poser à l’orateur. Mais c’est une opération secondaire.
    • Écoute active à vue (dialogues) : cela concerne tous les dialogues, à deux ou à plusieurs, réunions, repas, etc. Aux éléments sonores s’ajoute la vision de l’interlocuteur tant dans son articulation que dans ses expressions, dans ses attitudes, dans sa gestuelle. Au fur et à mesure où notre cerveau déchiffre le message, il doit trouver la réponse que nous ferons. Il ne s’agit pas seulement d’archiver les informations mais aussi de réagir.
    • Écoute active à distance (sans vision) : téléphone. Nous devons à la fois comprendre et répondre, avec le son sans l’image. Notre mémoire doit trouver les éléments qui relient les paroles présentes aux expériences passées pour constituer la réponse.
    • Réunion, écoute en groupe : la situation se complexifie lorsque la discussion met en jeu plusieurs interlocuteurs. La parole passe d’une personne à l’autre, chacune ayant une voix différente tant en fréquence qu’en intensité, articulation, intonation, débit… Il faut alors intégrer tout à la fois la diversité des voix et des expressions.

Ces situations varient aussi selon la présence ou non d’autres sons et bruits dans l’environnement. Dès que d’autres bruits ou d’autres voix viennent se mélanger à ce que l’on veut comprendre, notre système auditif doit mobiliser de l’énergie pour faire le tri des messages entrants et séparer le signifiant du bruit parasite.

Plus l’environnement sonore est complexe, plus cette discrimination engagera plusieurs niveaux de notre système nerveux :

– discrimination par la focalisation visuelle (fixer ses interlocuteurs) ;

– discrimination par la focalisation auditive ;

– tri par le cerveau.

L’ensemble de nos fonctions mentales concourent alors à n’utiliser que les éléments signifiants. La connaissance et l’analyse des situations auxquelles nous sommes confrontés est nécessaire pour choisir les solutions techniques et pour mobiliser notre cerveau afin d’en tirer le meilleur profit.

NON à la monoculture de l’appareillage

À l’heure actuelle, on se limite souvent à un raisonnement simpliste : Une personne = un audiogramme = une (ou deux) aide(s) auditive(s).

 

Si les appareils auditifs ont fait des progrès fabuleux, ils n’en sont pour autant que des outils. Ils ne peuvent seuls gérer à la fois l’intelligibilité du message et l’environnement sonore dans la diversité des vies quotidiennes de chacun. Et ils ne prennent pas spontanément en compte l’ensemble du problème humain des malentendances.

Les merveilles techniques ne peuvent être pleinement efficaces que si on les intègre dans une stratégie globale – pas seulement technique – dont elles ne sont qu’un élément, certes central.

Dans la grande majorité des cas, les aides auditives sont le pilier central des compensations. Mais pour que les malentendants en tirent le meilleur profit, elles doivent souvent s’articuler avec d’autres stratégies de compensation : techniques, psychologiques, orthophoniques, sociales…

Apprécier LES situations de communication

Pour garder ou retrouver les meilleures conditions d’intelligibilité, il faut commencer par examiner sa vie quotidienne et faire la liste des situations de communication auxquelles on est habituellement confronté, que ce soit dans sa vie privée, dans sa vie sociale ou dans sa vie professionnelle(*).

Si ces situations sont des obligations dans la vie professionnelle, il n’en va pas de même dans le champ privé ou social. Il faut prendre en compte les activités que l’on pratiquait « avant » mais que – sans en avoir toujours conscience – l’on ne pratique plus (ou moins souvent) du fait de la baisse d’audition.

Cet examen des situations que l’on s’est mis à éviter permet de mettre en évidence la gêne non seulement auditive mais aussi psychologique.

Pour chaque situation, on estimera l’ambiance sonore dans laquelle elle se déroule (calme, bruyante, très bruyante) et l’impact de ce bruit environnant sur la gêne auditive. Une analyse importante pour évaluer les niveaux sur lesquels doivent porter les compensations.

Pour chaque situation, il faut examiner trois aspects :

    • Intelligibilité : la gêne au niveau de la compréhension : identification (sonnerie) ou niveau de compréhension des différentes situations ;
    • Confort : la manière dont est ressentie la gêne auditive dans la situation donnée. Les situations peuvent être perçues de façon plus ou moins désagréables, plus ou moins fatigantes ;
    • Désagrément (frustré-exclu) : il s’agit non pas des situations dans lesquelles la gêne est la plus grande, mais de celles qui sont le plus mal vécues, soit par frustration d’une activité appréciée, soit par impossibilité d’assurer une situation professionnellement ou socialement importante.

C’est à partir de cet état des lieux que l’on pourra chercher quelles sont les meilleures stratégies, et ce qu’il faut faire pour qu’elles soient les plus efficaces possibles… sans se limiter au seul équipement technique. Pour chaque situation, on estimera le niveau de bruit dans laquelle elle se déroule : très calme (< 40 dB), calme (40 à 60 dB, seuil de confort auditif), bruyant (60 à 70 dB), très bruyant (70 à 80 dB – entre pénibilité et seuil de risque), dangereux (> 80 dB – relèvent des obligations de protection).

(*) pour la vie professionnelle, une méthode d’analyse du poste de travail et des compensations est détaillée dans le guide « Audition et vie professionnelle » de Jérôme Goust, aux Éditions Liaisons ; 2e édition 2012 – www.l-ouie.fr).

Définir les stratégies de compensation

À partir de cette analyse des situations de communication de la vie quotidienne, propres à chaque personne, on va définir LES stratégies de compensation à mettre en oeuvre. Elles doivent correspondre aux situations auditive, psychologique, sociale, économique, professionnelle et intellectuelle de la personne malentendante. Elles sont d’ordre technique ou d’aménagements, mais aussi d’ordres psychologique, social, orthophonique, et peuvent comprendre un accompagnement des personnes, des proches, des groupes fréquentés (associatifs ou autres), des équipes de travail…

Les stratégies de compensation ne doivent pas être choisies séparément, mais constituer un ensemble cohérent de mesures complémentaires dont l’efficacité totale est bien supérieure à l’efficacité de chaque élément. Elles doivent s’intégrer dans les dispositifs collectifs de communication (tels que les boucles magnétiques) et ne pas se limiter à la communication individuelle (comme le Bluetooth).

Ces stratégies se situent à différents niveaux.

    • Moyens de compensation individuels :

– appareillage : les aides auditives doivent être choisies en fonction de leur articulation avec les autres outils ;

– aides techniques : elles doivent être adaptées à des situations données pour lesquelles elles améliorent les performances des appareils auditifs ;

– mobilisation de la personne : la personne doit être l’élément moteur dans la maîtrise de ses outils de compensation ;

– travail mental (« auto-rééducation ») ;

– techniques orthophoniques.

    • Organisation de la vie et de l’espace :

– aménagement spatial, acoustique, visuel, technique ;

– aides techniques visuelles, vibratoires, acoustiques ;

– aménagement des activités.

    • Information :

– information de la personne malentendante elle-même : c’est en comprenant ce qui lui arrive qu’elle pourra se mobiliser de façon optimale pour obtenir les meilleurs résultats ;

– information des proches, équipes de travail, managers, acteurs sociaux.

Il s’agit non seulement de déterminer les outils techniques et les aménagements, mais aussi tout ce qui contribuera à leur apprentissage et à leur maîtrise par la personne.

On sort alors du domaine de l’audition pour mettre en oeuvre beaucoup d’autres choses. Au-delà des capacités d’audition, il faut mobiliser les capacités d’attention, les capacités d’adaptation… et les acquis de la mémoire.

C’est la bonne coordination de ces capacités qui déterminera le niveau et la qualité d’utilisation par le cerveau des informations fournies par l’oreille, par les outils auditifs et par les autres sens.

L’ensemble de ces capacités et de ces techniques de compensation conditionne la suppléance mentale. Mais les stratégies de compensation doivent aussi intégrer tout ce qui permettra aux autres – dans leur rôle d’émetteurs – de contribuer à la meilleure communication possible.

Une formation pour définir les stratégies de compensation

L’association Vie quotidienne et audition propose une journée de formation pour permettre aux audioprothésistes de mieux analyser les situations de vie quotidienne de leurs patients.

Cette méthode d’analyse permet de définir les stratégies de compensation utilisables en fonction de la vie de la personne : vie professionnelle, vie sociale, vie privée. Cela permet aussi de mettre en oeuvre les démarches de financement. Cette formation, assurée par Jérôme Goust, repose sur l’enseignement qu’il délivre dans les écoles d’audioprothésiste de Paris et de Cahors, et sur ses ouvrages.

Information : vqa@l-ouie.fr

Retrouvez les informations sur l’action de VQA sur le site : www.l-ouie.fr

Retrouvez les premiers articles de Jérôme Goust sur les réalités de la malentendance, publiés sur notre site :

Le cheminement psychologique de la malentendance

La malentendance : des âges, des besoins, des vies

Les voies de la communication… pour ceux qui désirent intelligibles

Jérôme Goust