La mise en place de la réforme « 100 % Santé » en zone de turbulence

 
La ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn s’exprimait en ce sens devant l’Assemblée nationale le 23 octobre. (Voir la vidéo). Elle intervenait plus précisément dans le cadre des discussions sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), et précisait que le premier comité de suivi de la réforme du reste à charge zéro (100 % Santé) allait se tenir en décembre.
 
Vers une hausse inéluctable des cotisations ?
La ministre s’exprimait également pour remettre les pendules à l’heure suite à la publication d’une étude réalisée par le groupe de conseil en assurance santé Santiane et publiée dans Le Parisien. Cette étude estime que « pour les séniors, gros consommateurs de soins dentaires et d’appareils auditifs, la hausse moyenne de cotisation sera de 9,4 %. Pour les moins de 60 ans, l’impact sera limité à 2,5 %. » Le quotidien citait une autre étude qui soulignait qu’il fallait anticiper une hausse mécanique des cotisations de 4,6 % sur les contrats collectifs des salariés. Des annonces que la ministre a souhaité amender s’insurgeant : « Je ne comprends pas que tout le monde pense qu’une étude ou deux études, faites par un groupe privé, suffisent à mettre à mal une négociation qui a pris six mois et où des engagements ont été pris par les complémentaires santé ». La ministre a saisi l’occasion de réaffirmer toute sa confiance dans la négociation qui s’est déroulée et dans les engagements pris par les complémentaires. « Cette réforme prévoit notamment que les complémentaires s’engagent à ne pas augmenter leurs prix et à absorber cette réforme dans les augmentations naturelles qu’elles ont chaque année et dans leur coût de gestion », a rappelait Agnès Buzyn. Un RAC zéro qui, des mots de la ministre doit d’ailleurs être absorbé aux trois quarts par la Sécurité sociale, laissant un quart à la charge des complémentaires. Comme annoncé lors des pourparlers sur le RAC zéro, un observatoire des pratiques sera mis en place afin d’évaluer les prix pratiqués par les complémentaires et d’empêcher ainsi les hausses des contrats et cela dans la transparence.
 
La Mutualité Française tempère
Dans la foulée, la Thierry Beaudet, le président de la Mutualité Française réagissait sur l’antenne d’Europe 1, réaffirmant que le reste à charge zéro était « une bonne mesure », et tempérant immédiatement les chiffres annoncés par le groupe Santiane. Et Thierry Beaudet de recentrer immédiatement le débat : « Ce qui coûte cher aujourd’hui, c’est l’absence de réforme du reste à charge zéro. Finalement, le scandale, c’est le renoncement aux soins ! Une personne sur trois est appareillée, une personne sur cinq renonce à des soins dentaires pour des raisons financières. Si la réforme du RAC zéro permet à plus de français à plus de séniors de se soigner, fusse au prix d’une légère évolution des cotisations, je considère que ce sera positif, car nous aurons fait progresser l’accès aux soins et c’est bien cela l’objectif de la réforme. »
Dans la foulée, la Mutualité Française appuyait par voie de communiqué de presse les mots de son président : « Le tarif des mutuelles dépend de l’évolution des dépenses qu’elles remboursent. Or, il est encore trop tôt pour mesurer précisément le coût de cette réforme pour les complémentaires santé, car il dépendra du taux de recours aux paniers RAC zéro. » Rappelant le contexte dans lequel se sont déroulées les concertations, la Mutualité soulignait qu’un équilibre global a été recherché avec l’ensemble des acteurs concernés.
 
Un report de charges pour éviter la hausse déraisonnable des prix des contrats ?
Allant plus loin dans le détail de la mise en place de la réforme, la Mutualité Française mettait en avant le fait qu’à priori, « les dépenses supplémentaires pour rembourser les prothèses dentaires et auditives pourraient être en partie compensées par une maitrise des coûts en optique. » Et de tempérer : « Mais il convient de rester prudent : les impacts pourront varier sensiblement en fonction de la spécificité des adhérents et de leur complémentaire. L’impact pourrait être plus fort pour les seniors, dont les besoins en prothèses auditives et dentaires sont plus importants, et qui sont couverts par des complémentaires individuelles. De la même manière, l’impact sera plus important pour les adhérents couverts par de « petits contrats », ceux dont les garanties sont actuellement inférieures au panier de soins à reste à charge zéro ».
 
Une hausse des cotisations modérée et étalée dans le temps…
D’après les estimations de la Mutualité Française, la mise à niveau de ces contrats de base pourrait ainsi impliquer « une hausse des remboursements, et donc des cotisations, de 4 à 5 %, étalée sur trois années. Pour les salariés couverts par des contrats collectifs qui proposent en moyenne des garanties plus élevées que les contrats individuels, l’impact du RAC zéro devrait être plus faible, explique la Mutualité qui souligne : « les populations actives ont des besoins en audioprothèse bien moins importants (0,2 %) que la moyenne (0,6 %) ou que les plus de 85 ans (4 %) ».
 
…et évaluée par le ministère
Et dans la lignée de la volonté de lisibilité des contrats voulue par Agnès Buzyn, la Mutualité Française souligne que les mutuelles ont pris un engagement de transparence. « La Mutualité Française a souhaité ainsi la mise en place d’un comité de suivi de la réforme afin de mesurer notamment l’impact sur les remboursements des mutuelles. Et ce comité de suivi, sous la responsabilité de la ministre de la Santé, doit permettre de piloter la mise en œuvre de la réforme d’ici le 1er janvier 2021, dans l’intérêt des Français. »
 

L’avis de la HAS initie le compte à rebours du déploiement de la réforme

Un peu plus tôt, le 9 octobre, La Haute autorité de santé a rendu public son avis détaillé sur la réforme « 100 % Santé ». La filiale de la HAS habilitée à l’étude de l’avis de projet, la Commission nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDIMTS) a réceptionné les retours des différents acteurs du secteur. Si dans les grands traits, peu de changements ont été portés à l’avis de projet, une recommandation n’est pas passée inaperçue. Dans tous les cas, les derniers échanges sont désormais en cours avant la publication définitive au Journal officiel qui devrait avoir lieu en novembre ou décembre au plus tard.
 
Vers la perte du monopôle de la primo-prescription par les ORL ?
Le document de 41 pages, qui commente et amende l’avis de projet publié le 21 juin au Journal officiel, apporte une importante modification de fond sur la primo-prescription des appareils auditifs. Ainsi, l’avis de projet énonçait : « La délivrance pour l’adulte et l’enfant de plus de 6 ans d’un premier appareillage auditif est soumise à la prescription médicale préalable et obligatoire par un médecin oto-rhino-laryngologiste (ORL).»
Supprimant les dispositions relatives à la primo-prescription et aux renouvellements, la CNEDIMTS explique :
« La prescription d’un appareillage auditif implique un bilan préalable comprenant un examen otologique et une évaluation audiométrique complète. L’interprétation de ce bilan va permettre une orientation du patient vers la solution la plus adaptée (médicale, chirurgicale, appareillage ou autre).
La CNEDIMTS approuve les objectifs de moyens à mettre en œuvre par les prescripteurs (bilan clinique et audiométrique minimal prédéfini), mais ne recommande pas de limiter a priori cette primo-prescription à une spécialité médicale pour les adultes et enfants de plus de 6 ans.
En effet, actuellement 25 % des aides auditives prises en charge en primo-appareillage sont prescrites par des médecins non ORL, dont 23 % prescrites par des médecins généralistes. Par ailleurs, quelques éléments démographiques relatifs aux ORL :
– selon la SFORL, le délai moyen d’accès à l’ORL est de 3 semaines (24h – 3 mois) sur le territoire national ;
– le nombre d’ORL va décroissant (de 2924 en 2016 à 2854 en 2018, pour atteindre 2456 en 2029 selon les projections de la DREES en 2015).
– Cinq départements français comptent moins d’un ORL pour 100 000 habitants.
Enfin la CNEDIMTS rappelle la prise en charge de la téléconsultation et de la télé-expertise en conformité avec l’article 78 de la loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires » du 21 juillet 2009. »
 
Les ORL vent debout contre la dilution de la primo-prescription
Un avis qui suscite l’ire des ORL. Le Snorl, Syndicat national des ORL, vient de publier un contre-argumentaire sur son site Internet afin de contester cette recommandation : « Le Syndicat national des médecins spécialisés en ORL et CCF a mis en avant la semaine dernière l’intérêt pour le patient d’avoir un bilan réalisé par un ORL qui doit être Le prescripteur des aides auditives. Le niveau d’expertise médical ainsi que la technicité du matériel nécessaire au bilan audiologique rend l’ORL incontournable. La CNEDIMTS dans sa recommandation a systématiquement remplacé le terme "patient "par "personne". Elle considère certainement que la surdité n’est pas une pathologie. C’est peut-être la porte ouverte à une consommation de masse sans bilan médical ? », interroge le Snorl avant de revenir point par point sur la recommandation émise par la CNEDIMTS. Un point que le Gouvernement sera amené à trancher en dernier recours.

Vers une meilleure prise en charge des accessoires et des consommables
La CNEDIMTS énonce une autre recommandation relative aux consommables afin qu’ils soient mieux pris en charge : « La nomenclature doit prévoir une prise en charge des consommables (dômes, piles, accus, tube souple de liaison, embout prothèse, filtre protecteur contre le cérumen) et des accessoires nécessaires (chargeur des accus..) ou utiles (télécommande…) au fonctionnement de l’aide auditive.
L’institution motive cette recommandation par les effets que cela aurait sur l’observance : « La prise en charge des consommables peut avoir un impact déterminant sur l’observance. La CNEDIMTS recommande cette prise en charge des consommables, hors produits d’hygiène. »
 
Objectiver la perte auditive avec des seuils plus précis
Aussi, entre autres retouches de terminologie (« personne » plutôt que « patient »), etc., la CNEDIMTS recommande de préciser les indications des aides auditives pour la prise en charge par l’assurance maladie, le déficit auditif pouvant être uni- ou bilatéral. Elle rappelle que dans le cas d’une surdité bilatérale, la prise en charge stéréophonique doit être assurée afin de reconstituer la répartition spatiale des sources sonores et d’obtenir l’impression de relief acoustique. Elle confirme qu’un seuil doit être défini dans la nomenclature pour objectiver ce déficit et précise les critères audiométriques retenus. Les critères et seuils recommandés sont issus des propositions du groupe de travail. La CNEDIMTS recommande de limiter la prise en charge des aides auditives aux surdités (presbyacousie notamment) ayant un retentissement sur l’intelligibilité (objectivé par des tests audiométriques réalisés dans le silence et dans le bruit). Elle rappelle, par ailleurs, queles acouphènes sans retentissement sur l’intelligibilité ne sont pas visés par le projet de nomenclature, les dispositifs médicaux étant de nature différente de celle des aides auditives.
 
Il en résulte ainsi : « La prise en charge est assurée chez les patients avec une surdité unilatérale ou bilatérale. Dans le cas d’une surdité bilatérale, la prise en charge est stéréophonique. Elle est assurée pour chaque oreille remplissant au moins l’une de ces conditions » :
– surdité avec une perte auditive moyenne supérieure à 30 dB (calculée selon la méthode du Bureau international d’audiophonologie) ;
– seuil d’intelligibilité dans le silence supérieur à 30 dB (correspondant au niveau d’émission de la parole le plus bas pour obtenir dans le silence 50 % de reconnaissance des signaux de parole) ;
– dégradation significative de l’intelligibilité en présence de bruit, définie par un écart du rapport signal de parole/ niveau de bruit (RSB en dB) de plus de 3 dB par rapport à la norme ;
– perte auditive dans les fréquences aiguës supérieures à 30 dB à partir de 2000 Hz et avec un seuil d’intelligibilité supérieur à 30 dB dans le silence (et/ou significativement dégradé dans le bruit).
Dans les cas spécifiques et exceptionnels de neuropathie auditive et de troubles centraux de l’audition, le diagnostic sera posé :
– pour les neuropathies auditives, sur les résultats conjoints des oto-émissions acoustiques, des potentiels évoqués auditifs et des potentiels évoqués multiples stationnaires
– pour les troubles centraux, sur les résultats conjoints du test d’écoute dichotique, des potentiels évoqués auditifs précoces et tardifs et de l’audiométrie vocale dans le bruit. »
 
Au Gouvernement désormais d’acter en concertation avec toutes les parties prenantes la finalisation de l’avis de projet.

GB