Renoncement aux soins : le manque de régulation des assurances complémentaires pointé du doigt

Politique de santé


En cette période pré-électorale, il semble désormais acquis que la place occupée par les questions de santé, leur financement et plus largement leur efficience, s’inscrit comme l’une des thématiques majeures de la course à l’Élysée 2017. Et l’audioprothèse n’est pas en reste : bon nombre de candidats se sont d’ores et déjà exprimés sur le sujet de la prise en charge des aides auditives, en continuité avec les récentes déclarations gouvernementales sur un meilleur accès aux soins auditifs. Nul doute que les lignes audioprothétiques françaises sont vouées à évoluer. Reste à savoir quand, et surtout comment…

Renoncement aux soins : le manque de régulation des assurances complémentaires pointé du doigt

 
Une tribune publiée dans Le Monde relève les paradoxes et iniquités du système de santé français
Les problématiques de santé se sont plus que jamais invitées dans l’actualité de l'avant premier tour, et notamment sous l’angle des inégalités d’accès aux soins. En témoigne une tribune signée par Luis Godinho dans le journal Le Monde en date du 22 février 2017 et intitulée « Luttons contre les inégalités d’accès aux soins ». Dans le contexte pré-électoral actuel et pour souligner les spécificités et paradoxes du système de santé français, et notamment le manque de régulation des complémentaires, le président du Syndicat national des audioprothésistes – également vice-président du Centre national des professions de santé (CNPS) et membre du Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance-maladie (HCAAM) – y souligne la place des remboursements publics : 11 % du PIB, soit 79 % des dépenses de santé financées par le système public, ce qui situe la France dans la moyenne des pays européens. Aussi, dans la tribune qu’il a adressée au journal Le Monde, le président de l’Unsaf relève que la place des assureurs complémentaires est en revanche bien plus importante que dans les autres pays de l’Union. Une situation qui place le reste à charge français comme le plus faible des 28 pays de l’UE !
 
Une large couverture bénéficiant surtout aux moins nécessiteux ?
Et pourtant, si 95,5 % de la population dispose bel et bien d’une couverture complémentaire, Luis Godinho alerte sur le fait que cette couverture profite avant tout aux plus aisés. Quid des plus défavorisés ? Pour les 20 % d’entre eux, le renoncement aux soins est plus élevé que chez nos voisins européens, met-il en lumière. Un phénomène particulièrement marquant en audioprothèse à l’instar du dentaire où 12 % des plus pauvres renoncent aux soins quand ils ne sont que 10,4 % ailleurs en Europe.
Un système qui avantagerait donc les catégories sociales les plus aisées au détriment des plus pauvres, ce que déplore bien évidemment le président de l’Unsaf, qui dénonce un paradoxe entretenu par le manque de régulation des assurances complémentaires et notamment le système des contrats collectifs — destinés aux 25-59 ans et pris en charge par l’employeur et l’État — et des contrats individuels — aux primes proportionnelles à l’âge — et qui restent les seuls accessibles aux plus fragiles : étudiants, chômeurs, retraités…  « Au final, explique Luis Godinho, un cadre de 45 ans jouissant d’une bonne santé et de bons revenus a un reste à charge quasi nul, alors qu’un retraité modeste, aux revenus et à la santé fragiles, subit d’importants restes à charges… »
Une situation source d’inégalités et qui pousse Luis Godinho à s’interroger sur une nécessaire transformation du système d’aides publiques à l’acquisition des contrats, mais aussi sur le développement d’une mutualisation plus large de ces derniers. Si les plus pauvres renoncent de plus en plus en raison des coûts aux soins dentaires et audioprothétiques, une meilleure prise en charge de ces secteurs par l’Assurance maladie « aurait un impact majeur pour les 20 % les plus pauvres et permettrait de diminuer le coût de l’ensemble des contrats », explique Luis Godinho qui invite, en reprenant une recommandation de l’Inspection générale des Affaires sociales (IGAS), à reconsidérer le principe de tarification en fonction de l’âge — facteur d’iniquités — et dont la suppression « améliorerait la mutualisation et l’équilibre entre solidarité des adhérents et concurrence et donnerait un coup d’arrêt à la segmentation croissante des contrats. » Et de souligner que la généralisation en cours des complémentaires doit servir le principe d’universalité d’accès aux soins.
 
Si cette tribune de Luis Godinho laisse à penser qu’il est peut-être nécessaire de reconsidérer le fonctionnement des organismes complémentaires d’assurance maladie, une étude publiée simultanément vient étayer cet argumentaire.
 
Des renoncements aux soins pour « raisons financières » trop fréquents
Une enquête menée par la FNATH, l’association des accidentés de la vie et rendue publique au mois de février se penche sur l’accès à la santé des personnes handicapées. Et notamment sur les obstacles financiers majeurs rencontrés par ces personnes dans la région des Hauts-de-France. Financée par l’ARS des Hauts-de-France, ainsi que par le conseil départemental de l’Oise, l’enquête a permis de recenser 949 réponses, émanant à parts égales d’hommes et de femmes et dont 60 % appartiennent à la tranche d’âge des 20-60 ans et 40 % à celle des plus de 60 ans. On y apprend notamment que 70 % des personnes ont été contraints de reporter ou de renoncer, en raison de leurs coûts, à au moins l’un de ces soins ou dispositifs médicaux : soins dentaires, achat de lunettes de vue, acquisition d’appareils auditifs et achat de médicaments prescrits par leur médecin, mais mal remboursés. Plus précisément, ils sont près de 45 % à avoir reporté ou renoncé à l’achat de médicaments pourtant prescrits par le médecin, et mal remboursés, mais aussi à des soins dentaires. Quant au renoncement aux lunettes de vue et aux appareils auditifs, ils concernent respectivement 38 % et 13 % des personnes ayant répondu à cette enquête…
 
L’efficacité des complémentaires de santé remise en cause par ces nombreux reports ou renoncements aux soins
Et là où l’étude devient particulièrement intéressante, c'est qu’elle met en lumière un phénomène assez paradoxal encore. En effet, bien que 95 % des répondants ont déclaré être couverts par une assurance complémentaire, cela ne semble pas avoir véritablement d’effets pour lever les obstacles financiers à l’accès aux soins, est-il souligné dans l’étude. 60 % des répondants déclarent ainsi avoir dû reporter ou renoncer à la consultation d’un médecin en raison de son coût, d’une part, du fait de l’obligation d’avancer le montant de la consultation (5 %), et, d’autre part, du fait des dépassements d’honoraires pratiqués (35 %). Ils sont 20 % à avoir coché les deux raisons.
Si l’impact des dépassements d’honoraires est donc extrêmement important pour les personnes handicapées qui ont répondu à cette enquête, l’étude constate dans le même temps qu’en dépit d’une couverture complémentaire forte, l’impact du coût est important, puisque les personnes handicapées ayant répondu à l’étude sont très nombreuses à renoncer à des soins ou des dispositifs médicaux. Et l’étude de la FNATH de mettre en avant : « Ce pourcentage (NDLR 60 % de report ou de renoncement) est d’autant plus élevé que les personnes ont déclaré bénéficier d’une couverture complémentaire. On peut donc s’interroger sur la qualité de ces couvertures », souligne l’étude de la FNATH.  
 
À l’heure où tous les candidats affinent leurs argumentaires sur le volet « Santé », force est de constater qu’ils ont à considérer à leur juste place à la fois le rôle de l’Assurance maladie obligatoire et celui des complémentaires, afin de répondre à l’attachement des Français au principe de solidarité nationale.
 
 
Pour aller plus loin :
Lire l’intégralité de la tribune de Luis Godinho publiée dans Le Monde sur le site de l’Unsaf.

Guillaume Bureau