Frédéric Bizard : « Mon assureur n’a pas à choisir mon médecin ! »

L’économiste Frédéric Bizard était invité par le réseau Dyapason, jeudi 1er décembre, à s’exprimer sur les organismes complémentaires d’assurance maladie (Ocam).

Publié le 06 décembre 2016

Frédéric Bizard : « Mon assureur n’a pas à choisir mon médecin ! »

C’est le rapport Asterès qui a motivé Frédéric Bizard à s’exprimer le 1er décembre à Paris, d’abord en conférence de presse, puis auprès des membres du réseau Dyapason. L’économiste contredit sans détour l’étude publiée par Santéclair, le CISS (le Comité Interassociatif sur la Santé) et 60 millions de Consommateurs, une alliance qu’il soupçonne d’être en faveur de « l’affaiblissement de l’exercice libéral ».
Pour lui la solution est évidente : il faut mettre fin au remboursement différencié, faute de quoi les professionnels de santé ne pourront pas continuer à exercer leur profession comme ils l’entendent. Selon son raisonnement, les réseaux contractualisent les rapports entre les plates-formes et les professionnels de santé, selon des accords prix, volumes et qualité… Une promesse qui aurait bien peu de chance d’être tenue. Pour Frédéric Bizard, « le seul moyen d’améliorer la prise en charge des patients c’est l’innovation. Or, le système de réseau de soin freine cette ambition, car sa principale préoccupation est de faire baisser les coûts ! ».

Le réseau de soin, une torture digne de « l’écraseur de tête »
L’enseignant à Sciences-Po explique également que même pour le professionnel de santé adhérant au réseau de soin, la désillusion est souvent grande. Même si les promesses sont très attractives la première année, les conditions se dégradent dès la troisième. Il devient alors difficile de sortir du réseau. « Sa vocation, poursuit F. Bizard, est de devenir un acheteur de soins, maîtriser les prix, puis maîtriser les protocoles ». Il reproche également aux réseaux d’enfermer les classes moyennes dans un système de santé low cost.
Il n’hésite d’ailleurs pas à comparer les relations entre réseaux et professionnels de santé, à des formes de tortures, comme « l’écraseur de tête », image à l’appui. « On tourne la vis régulièrement, de la même façon que le processus de réduction des prix n’arrête jamais ». Une façon d’illustrer un dysfonctionnement majeur de la couverture assurantielle, pourtant particulièrement clémente, en France. « Nous sommes dans une situation unique : il y a 78 % de couverture publique, et 14 % de couverture privée, ce qui vous amène à 8 % de reste à charge, soit un taux particulièrement bas ! L’accès aux soins des Français devrait être extrêmement favorisé ! 100 % des Français sont couverts par l’Assurance maladie, 96 % par l’assurance privée ! Sauf que les soins courants sont très mal protégés ce qui donne lieu à des renoncements aux soins, par exemple ».  
Mettre fin à l’assurance du ticket modérateur 

Et pour mettre fin au renoncement aux soins, l’économiste propose d’interdire d’assurer le ticket modérateur. Leur montant étant connu à l’avance, leur prise en charge ne serait d’aucun intérêt pour les assurés. « Les tickets modérateurs de ville représentent un non-risque aux dépens d’une couverture du vrai risque, la partie libre des tarifs. C’est ainsi que le marché des organismes d’assurance privés est devenu un marché de rente. Surtout, on a fait de ce bien qui n’était pas assurable, un bien assurable ». Ainsi, assurer la partie libre des tarifs lui parait bien plus judicieux. Mais pour lui, le système est opaque, l’assuré n’a pas la main sur ce qu’il signe, et tout est fait pour que les utilisateurs ne sachent pas quel professionnel ils vont voir.
Pendant ce temps, les prélèvements pour les secteurs privés augmentent de 1,3 milliard chaque année. Les deux tiers de la somme concernent les frais de gestion et de communication.
Ce que condamne Frédéric Bizard, c’est ce qu’il nomme la « toute-puissance » des Ocam : « Ils n’ont aucune compétence pour contrôler la qualité d’une prestation médicale, la seule chose qu’ils peuvent évaluer c’est l’accès au Wi-Fi, la propreté de la salle d’attente ou encore l’accueil des enfants !… L’assureur n’a pas à choisir mon médecin, ou mon garage, je lui demande juste de trouver les bons contrats ! » Un sujet qu’il espère voir débattu pendant cette période électorale.

Kessy Huebi-Martel