Anti-cadeaux, Transparence : des lois pour encadrer les liens d’intérêt

Législation

2017 année de la disette ? En ce début d’année, deux dispositifs ont été renforcés, visant à éviter les conflits d’intérêts entre les professionnels de santé et les industriels : les lois dites anti-cadeaux et transparence. Décryptage de ces deux textes qui concernent directement les audioprothésistes, les étudiants, les enseignes et les fabricants d’aides et d’implants auditifs.

Publié le 05 juillet 2017

Anti-cadeaux, Transparence : des lois pour encadrer les liens d’intérêt

(Article initialement paru dans Audio infos n° 219)

Ah… le temps des congrès, ses stands fastes et somptueux, les animations toujours plus éblouissantes des fabricants et des enseignes, les collations affriolantes offertes au chaland à l’approche de la fin de la journée ! Une vraie tradition ! Hélas… cette tradition appartient désormais au passé. Avec l’application de la nouvelle loi anti-cadeaux, ce genre de largesse, entre autres, sera en effet proscrit, comme est venue l’expliquer Christel Cheminais, directrice des affaires juridiques et questions éthiques au Snitem, lors du dernier congrès des audioprothèses organisé par l’Unsaf. Dura lex, sed lex ! Avec la loi Transparence, la loi anti-cadeaux encadre les liens d’intérêts entre professionnels de santé et industriels, indispensables pour la profession, afin qu’ils ne se dénaturent pas en conflits d’intérêts. « Voilà un tout cohérent au service d’une plus grande transparence, pour sortir de l’ère du soupçon. Il y a eu des fraudes. Nous y remédions. », déclarait la ministre de la Santé Marisol Touraine, lors de la discussion de ces textes.

Audioprothésistes et étudiants concernés

Qu’est-ce que la Loi anti-cadeaux ? Elle trouve son fondement dans la Loi du 27 janvier 1993 portant diverses mesures d’ordre social, dite loi DMOS ou, déjà, Loi anti-cadeaux. En 2011, suite à l’affaire Mediator notamment, elle est sérieusement consolidée par la Loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, dite « Loi Bertrand ». Celle-ci dispose que les entreprises fabriquant ou distribuant des produits pris en charge par l’Assurance maladie ont interdiction d’offrir des avantages, en nature ou en espèce, de façon directe ou indirecte à certains professionnels de santé, aux étudiants se destinant aux professions de santé et aux associations médicales et étudiantes.

Sauf que, si les étudiants en audioprothèse étaient bien concernés par ce dispositif, les audioprothésistes en exercice, eux, y échappaient jusqu’alors. Une incohérence qu’il fallait rectifier. C’est précisément ce que la Loi de modernisation de notre système de santé de Marisol Touraine, dite « Loi Santé », permet (entre autres) : son article 180 autorise le Gouvernement à modifier la Loi Bertrand, dans un délai d’un an, par ordonnance. Celle-ci a été prise le 19 janvier 2017 : elle étend le champ d’application de la Loi anti-cadeaux à tous les professionnels de santé, y compris les audioprothésistes, et à toutes les personnes (physiques ou morales) fabriquant ou distribuant des produits de santé, et pas uniquement celles distribuant ou fabriquant des produits de santé pris en charge par l’Assurance maladie.

3 questions à Thierry Daudignon, président de la division Audiologie du Snitem

Quel regard portez-vous sur la Loi anti-cadeaux qui va désormais s’appliquer aux audioprothésistes ?

Les tenants de la loi sont contraignants pour la relation commerciale classique avec les audioprothésistes. Par exemple, il arrive que les commerciaux organisent des visites chez les audioprothésistes lors d’une pause déjeuner. Mais la loi telle qu’elle est prévue pour le moment, indique qu’il faudra demander une autorisation préalable, ce qui est totalement impossible. Nous allons voir ce que le législateur va prévoir pour les décrets d’application. Ce sont eux qui fixeront la règle du jeu, et détermineront si la loi est plus ou moins contraignante. Je ne sais pas si le Snitem sera consulté pour donner son avis avant la publication des décrets.

Concernant la loi Transparence, que va changer l’ajout des rémunérations ?

La Loi Transparence nous concerne déjà depuis 2 ans : à chaque fois que l’on fait bénéficier à quelqu’un d’un avantage supérieur à 10 euros, on doit le déclarer sur la base transparence. Cela fait partie de notre routine. Ce sont des lourdeurs administratives, mais c’est le respect la loi. Quant aux rémunérations, elles concernent davantage les médecins que les audioprothésistes, dans des activités de recherche ou de consulting avec des laboratoires pharmaceutiques. Je ne pense pas que cela changera grand-chose pour le milieu de l’audioprothèse.

Comment le Snitem accompagne-t-il les entreprises de santé dans ces démarches ?

Le Snitem accompagne en réalisant une veille juridique. Comme pour toutes les lois nous concernant, nous travaillons sur l’interprétation, sur l’orthodoxie de ce que le législateur a signifié. Le but est d’apporter de la sécurité aux entreprises, afin qu’elles respectent la législation.

Par ailleurs, le régime juridique de cette loi est modifié, passant d’un système d’avis à un système d’autorisation. C’est-à-dire qu’au-dessus d’un certain seuil (qui doit encore être déterminé par arrêté), l’entreprise devra réaliser une demande d’autorisation auprès de l’autorité administrative compétente (il s’agira sans doute de l’ARS pour les audioprothésistes). En deçà du seuil fixé, l’entreprise devra tout de même déclarer l’avantage.

En résumé, si une entreprise veut faire un cadeau à un professionnel de santé, il faudra que sa valeur soit négligeable et qu’il y ait un lien avec le travail. Exit le Champagne, donc ! Comme rien n’est jamais simple en droit français, ce dispositif ne s’applique pas encore. Plusieurs arrêtés et décrets sont attendus, pour fixer les montants seuil, les autorités compétentes, etc. Mais cette application interviendra au plus tard le 1er juillet 2018. Le changement de gouvernement ne devrait que ralentir le processus.

Sunshine Act à la française

Ces avantages devront en plus être rendus publics, ainsi que les conventions et les rémunérations, conclues entre les entreprises et les professionnels de santé. C’est le volet transparence de la Loi Bertrand, encore appelé le Sunshine Act à la française ; le Sunshine Act étant une loi américaine adoptée en 2010, mais mise en place dès les années 1970, pour favoriser la transparence entre industriels et médecins. De la même manière, la Loi transparence surgit à nouveau dans l’actualité, car elle a subi de nombreuses modifications, donc certaines très récentes. La loi Bertrand disposait en effet que les conventions entre professionnels de santé (y compris les audioprothésistes) et les avantages, dont le montant est égal ou supérieur à 10 euros, devaient être rendus publics. Et la Loi Santé, encore elle, a renforcé ce dispositif, l’étendant aux rémunérations. Le 28 décembre 2016, un décret l’a mise en application et le 22 mars 2017, un arrêté a redéfini le fonctionnement du site transparence.sante.gouv.fr où ces données doivent être publiées, à l’aune de l’extension du dispositif. Tout est désormais prêt pour que les industriels, les enseignes et les autres « entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé » puissent alimenter le site Internet des divers liens concernant des conventions, avantages et rémunérations (dont le montant est égal ou supérieur à 10 euros pour ces deux derniers), contractés avec les professionnels de santé.

Conventions, avantages, rémunérations… De quoi parle-t-on ?

Les relations entre les entreprises et ces acteurs peuvent prendre la forme d’accords (appelés « conventions »), d’avantages (« en nature » ou « en espèce ») ou encore de rémunérations.

  • Les conventions entre les entreprises et les acteurs de la santé sont des accords impliquant des obligations de part et d’autre. Il s’agit, par exemple, de la participation à un congrès en tant qu’orateur (obligation remplie par le professionnel), avec prise en charge du transport et de l’hébergement (obligation remplie par l’entreprise). Les conventions peuvent aussi avoir pour objet une activité de recherche ou des essais cliniques sur un produit de santé, la participation à un congrès scientifique, une action de formation, etc.
  • Les avantages recouvrent tout ce qui est alloué ou versé sans contrepartie par une entreprise à un acteur de la santé (don de matériel, repas, transport, hébergement, etc.).
  • Les rémunérations sont les sommes versées par les entreprises à un acteur de la santé (professionnel de santé ou personne morale) en contrepartie de la réalisation d’un travail ou d’une prestation.

Source : transparence.sante.gouv.fr

Concrètement, qu’est-ce que cela implique ?

Pour les entreprises de santé :

  • Concernant les avantages (cadeaux), elles n’ont plus le droit d’offrir des avantages qui ne sont pas en lien avec le métier et en deçà d’un seuil qui sera fixé par arrêté. Pour les avantages en lien avec le métier (don de matériel, par exemple), l’entreprise doit réaliser une demande d’autorisation après de l’autorité administrative (sans doute l’ARS) si la valeur de l’avantage dépasse un certain seuil (à définir). En dessous du seuil, l’entreprise doit déclarer le don.
  • Concernant les avantages (égaux ou supérieurs à 10 euros), les conventions et les rémunérations (égale ou supérieures à 10 euros), les entreprises doivent les rendre publics sur la base transparence.sante.gouv.fr, à raison de deux fois par an.

Pour les professionnels de santé (et autres acteurs de santé)

  • Ils doivent refuser les avantages (cadeaux) n’ayant pas de lien avec leur travail.
  • Certaines de leurs données personnelles (nom, prénom, adresse professionnelle, montant de la rémunération déclarée, etc.) apparaîtront sur la base transparence. sante.gouv.fr. Les professionnels de santé ont un droit de modification (en cas d’erreur), mais pas de suppression. Ces données resteront publiques pendant cinq ans.

Sanctions (qu’est-ce qu’on risque ?)

Concernant les entreprises :

  • le fait de proposer ou procurer des avantages est passible de deux ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. Par ailleurs, le montant de l’amende peut être porté à 50 % des dépenses engagées pour la pratique constituant le délit ;
  • est puni de 45 000 euros d’amende le fait d’omettre sciemment de rendre publics l’objet précis, la date, le bénéficiaire direct et le bénéficiaire final, et le montant des conventions, les rémunérations et les avantages.

Concernant les professionnels de santé :

  • le fait de recevoir des avantages est passible d’un an d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende

Bruno Scala
Merci à Christel Cheminais pour son concours lors de la rédaction de cet article.